Après Kaziranga, nous avons repris la route. Un bus, un ricksaw et un ferry plus loin, nous sommes arrivées à notre but: l’île de Majuli.
Majuli se trouve sur le Bhramapoutre et constitue la plus grande île fluviale du monde. Nous avons donc traversé une partie du fleuve pour y arriver.
Nous avons longé des bancs de sables qui forment autant de petites iles. Sur l’une d’elle nous avons même vu un troupeau de vaches, je me demande bien comment elles sont arrivés là et comment elles se nourrissent…
Après une heure de ferry, nous avons débarqué sur l’île:
Majuli compte 150 000 habitants qui vivent dans deux villes principales et des petits villages. Les logements traditionnels sont en bambou.
Toutes les routes et les chemins de l’île sont surélevés, et les maisons sont construites sur pilotis:
La raison est simple: une grande partie de l’île se retrouve complètement immergée pendant la mousson.
Nous sommes restées à « Prashanti Eco-resort lodge » (au passage, j’ai l’impression que les hôtels indiens ont souvent des noms très pompeux par rapport au service offert!) Je pense que nous étions les seuls clients, et le personnel a été simplement incroyable. Je n’avais jamais été aussi bien reçue dans un hôtel. Ils nous ont même offerts des gamosa (écharpes traditionnelles), je commence à en avoir une belle collection…
La nourriture à Majuli était excellente:
Le manager et un de ses amis nous ont fait visiter l’île en moto:
Majuli est un lieu saint de l’hindouisme, et le berceau d’une tradition religieuse unique en Inde: les Satras.
Ca mérite un peu d’explications:
L’hindouisme est la religion pratiquée par 80% des indiens, et pas loin d’un milliard d’humains… Elle compterait 330 millions de divinités, qui sont toutes considérées comme des manifestations du Bhraman (qui constitue l’Absolu, la réalité ultime). Le Bhraman est souvent décrit comme une trinité, la Tri-murti (murti veut dire image ou statue en Hindi), constituée des 3 dieux majeurs de l’hindouisme: Bhrama, le créateur de l’univers, Vishu, le conservateur, et Shiva, le destructeur. A Majuli, on vénère Vishnu. C’est un dieu bienveillant; à chaque fois que l’ordre de l’univers (le dharma) est menacé, il s’incarne pour le rétablir. Ses incarnations sont appelées des avatars, on en compte un nombre variables, mais la classification généralement admise en recense dix. L’avatar le plus important de Vishnu est Krisna, qui est particulièrement vénéré sur Majuli.
Les Satras sont des monastères dédiés à Vishnu, qui appartiennent à un ordre fondé à Majuli au XVe siècle par un poète, musicien et dramaturge, Sankaradeva. Les Satras ont pour but de propager la foi vishnouite, et de développer la spiritualité par les arts.
A Majuli, vivent ainsi les bhakats, des moines paysans et artistes, qui célèbrent Vishnu par le chant, la musique, et des formes particulières de danse (satriya) et de théâtre (ankiya bhawna) présentant des récits du Mahâbhârata et du Râmâyana.
Encore un peu d’explications…
Le Mahâbhârata et le Râmâyana sont les deux grandes épopées de l’Inde et de l’Asie du Sud-Est. Elles sont écrites en vers, et le Mahâbhârata est considéré comme le plus long poème jamais écrit (15 fois l’Iliade!).
Les deux épopées sont considérées comme une encyclopédie de l’âme indienne, la « toile de fond de la culture indienne ». Elles sont encore parfaitement intégrées dans la vie quotidienne des Indiens: on en raconte les contes aux enfants, à l’école ils apprennent généralement à lire avec des textes qui en sont tirés, puis ils sont immergés dans ces récits toute leur vie en assistant aux fêtes et aux spectacles populaires, ou via l’art (les films et la radio reprennent sans fin les thèmes de l’oeuvre)…
Les deux poèmes ne sont pas seulement des récits épiques mais aussi des traités qui dissertent sur tous les aspects de la vie religieuse, politique et sociale de l’Inde, avec de nombreux éléments didactiques (comment être un bon roi, un bon époux, respecter ses devoirs familiaux, etc etc). Petite citation de bon aloi:
» Je pense sincèrement que, de tous les sujets qui existent – y compris la totalité, de l’oeuvre de Shakespeare -, le mythe le plus riche, le plus dense et le plus complet, c’est le Mahâbhârata. En Inde, on dit : « Tout ce qui n’est pas dans le Mahâbhârata ne se trouve nulle part. » Je suis d’accord. »
Peter Brook
La portée de ces œuvres est impressionnante. C’est une source d’inspiration constante et inépuisable pour l’art du spectacle indien (dans le théâtre et le cinéma en particulier), mais aussi dans le reste de l’Asie du Sud-Est (Thaïlande, Cambodge, Laos, Indonésie…). J’avais par exemple été surprise en visitant le Palais Royal du Cambodge à Phnom Penh: toutes les fresques du palais représentent des épisodes du Râmâyana. Je n’avais pas bien mesuré la diffusion et l’importance de ces œuvres en Asie.
Un de mes buts en venant en Inde était de lire les deux ouvrages, que j’ai apportés avec moi (j’ai presque terminé le Mahâbhârata, ensuite je m’attaque au Râmâyana).
« Celui qui lira mon Râmâyana et son livre jumeau le Mahâbhârata, apprendra sur mon pays autant qu’en passant une année en Inde ».
C. Rajagopalachari
Nous avons pu visiter Samaguri Satra, un Satra spécialisé dans la fabrication de masques utilisées dans ces représentations du Mahâbhârata et du Râmâyana.
Nous avons pu faire quelques essayages:
Certaines créations doivent être impressionnantes une fois portées. Ici, Narasimha, un autre avatar de Vishnu (une créature moitié homme-moitié lion):
Les moines-danseurs intègrent les satras à un très jeune âge: à partir de 3 ans! Ils sont parfois confiés à l’ordre par leurs parents trop pauvres pour les nourrir ou les éduquer, ou par des familles plus aisées, par dévotion. Les moines font voeu de célibat, et vivent toutes leur vie dans les satras (ils peuvent tout de même y renoncer et quitter le monastère pour se marier).
En 60 ans, Majuli a perdu près d’un tiers de sa surface car le fleuve Brahmapoutre érode petit à petit son rivage, et 40 satras ont ainsi été engloutis. D’ici 20 ans, d’après les estimations, l’île aura complètement disparu, et un pan unique de la culture indienne avec elle…
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