Après un trajet de 22 heures de train depuis Guwahati, me voilà arrivée à Varanasi (aussi appelée Bénarès), la ville sacrée de l’Hindouisme! Varanasi est construite le long de la rive ouest du Gange. C’est l’une des plus vieilles villes du monde encore habitées.
« Benares is older than history, older than tradition, older than legend, and looks twice as old as all of them put together » écrivait Mark Twain.
Cela dit la ville a été détruite plusieurs fois, principalement lors de la domination musulmane du nord de l’Inde (par les Moghols), la ville actuelle ne conserve donc pas de bâtiments antiques (la majorité ont moins de deux siècles).
Je me suis installée à la Kautilya Society Residence, située dans un dédale de petites ruelles menant au Gange (les gali). La Kautilya Society est une organisation indienne à but non lucratif basée à Varanasi et ayant pour but la promotion des échanges intercutlurels et la conservation du patrimoine. Elle possède une petite résidence où l’on peut loger à condition d’en devenir membre. L’atmosphère y est très sereine, d’autant que nous sommes en basse saison.
Je me rends ensuite aux ghats, le coeur spirituel de la ville (des berges recouvertes de marches de pierres qui permettent aux dévots de descendre jusqu’au fleuve).
Les pélerins et les riverains y pratiquent quantité d’activités. En premier lieu, les bains rituels: chaque année, un bon million de pèlerins vient se baigner dans le Gange, car les eaux du fleuve sont censées laver de tous les péchés. Ca ne lave bien que cela, car le Gange est effroyablement pollué. Je ne pense pas trop exagérer en disant que c’est un véritable égoût à ciel ouvert: les eaux usées de plusieurs villes majeures y sont déversées, ainsi que des déchets industriels et les restes de crémations… Des tortues nécrophages avaient d’ailleurs été introduites pour manger les restes humains, mais elles ont disparu rapidement, mangées par les habitants (!) Petite statistique sympatique, des analyses menées par la ville ont révélé dans le Gange un taux de coliformes fécaux de 1,5 million d’unités par décilitre, le maximum autorisé étant de 500 unités. Ca soulève un peu le coeur de voir autant de gens se baigner dedans et boire cette eau, mais je tire aussi mon chapeau au système immunétaire des indiens.
Le long des ghats, on voit aussi des gens pratiquer le yoga, déposer des offrandes, jouer au cricket…
faire sa lessive…
laver son troupeau…
aller chez le barbier…
Bref, on fait sa petite vie. Et comme partout en Inde, les animaux se baladent aussi ou se reposent tranquillement:
Une des activités les plus prisées des touristes est une balade en barque sur le Gange.
On m’avait dit que la pression des vendeurs et rabatteurs était insupportable, curieusement je ne l’ai pas tellement ressentie, la plupart des gens n’insistaient même pas plus que ça (peut-être parce que c’est la très basse saison, nous sommes juste au début de la mousson et il fait extrêmement chaud, je ne croise pas tellement de touristes). J’ai quand même fait ma petite balade en barque un matin, comme tout le monde. Les vues sur les ghats en valent la peine :
Au loin, la fumée des bûchers funéraires…
Je me suis aussi baladée (« perdue » serait un mot plus juste) dans les ruelles des gali:
J’ai lu quelque part la remarque d’un visiteur à Varanasi qui disait « ce qu’il y a de formidable à Varanasi, c’est qu’il n’y a rien à faire ». Je pense que c’est assez vrai, l’essentiel ici c’est de se balader, se perdre, s’imprégner de l’atmosphère…
Comme toujours, on croise énormément de vaches…
Ici un homme touchait de façon répétée les pieds de cette vache (un signe de respect extrême, mais que je n’avais jamais vu envers un animal, même sacré!)
Petit détail idiot, en Inde les hommes expriment assez physiquement leur amitié, et il n’est pas rare de voir deux hommes se balader en se tenant par la main, par la hanche ou l’épaule, ou ma version préférée, en se tenant le petit doigt. En France, ce serait plutôt un truc de collégienne, mais ici beaucoup d’hommes se baladent ainsi, tout en restant parfaitement assurés de leur virilité:
Il y a des petits temples et autels partout dans les ruelles de la ville. Ici, un lingam (représentation aniconique de Shiva, le dieu auquel est dédié Varanasi), et un chien qui a flairé le bon plan:
J’ai fait un peu de shopping, et je me suis acheté un tee-shirt avec Shiva dessus que je porte fièrement. C’est probablement le même niveau de ringardise que de porter un tee-shirt « I love NY » à New York, mais j’assume.
En bonne touriste, je suis aussi allée boire un lassi au « Blue lassi », une petite échoppe qui vendrait « les meilleurs lassis d’Inde », selon le Lonely Planet (le lassi est une boisson de la région à base de lait fermenté, ça ressemble à un milkshake avec un goût plus prononcé):
Mes pas m’ont finalement amenée jusqu’au Manikarnika Ghat, le principal ghat de crémation de Bénarès.
Des buchers funéraires y sont installés à ciel ouvert. Les hindous qui y sont incinérés sont décédés de mort naturelle (un autre ghat, Harishandra est réservé à ceux qui ont connu une mort violente). J’y rencontre un jeune homme prétendant travailler dans un hospice attenant (ce n’est probablement pas vrai, c’est l’attrape-touriste classique; il va m’expliquer des choses en espérant un « don » à la fin. Mais ça ne rend pas ce qu’il dit moins pertinent). Il m’explique qu’ajourd’hui dans cet hospice six hommes attendent de mourir. De nombreux hindous viennent en effet passer de vie à trépas à Bénarès, car cela leur assurerait d’atteindre la Moksha, la libération du cycle des réincarnations.
Par respect, il n’est pas autorisé de prendre de photos, à part des piles de bois servant au buchers:
La crémation suit un rituel bien établi. Les buchers de crémation les plus proches du fleuve sont réservés aux plus basses castes, plus on monte en hauteur plus la classe est importante (même dans la mort il faut qu’il y ait une hiérarchie…). Les corps sont amenés sur des brancards de bambous par des hors castes appelés dom. Les morts sont couverts d’un linge (rouge ou rose pour les femmes, orange pour les hommes, blanc pour les vieillards).
Un bûcher est construit avec du bois qui peut être de différentes essences, notamment de manguier et de santal, le plus couteux. La quantité de bois dépend également de la richesse de la famille, et chaque buche est pesée pour évaluer le coût du bucher. Le feu est amené depuis un foyer, la « flamme de Shiva » qui brulerait depuis la création de la ville (en réalité, plutôt une centaine d’années car les innondations l’éteignent de temps en temps). Des hommes se relaient en permanence pour l’entretenir. Ceux qui apportent le feu sont des membres de la famille habillés de blanc, le vêtement du deuil. Pour un homme marié sans enfant, son épouse allume le feu, pour un père c’est son fils ainé, pour une mère son plus jeune fils, pour un enfant c’est le père.
Les femmes de la famille du defunt ne sont pas autorisées à rester et à assister à la crémation car, m’explique mon guide, elles sont trop « émotives » et risqueraient de pleurer. Or, pour accéder au nirvana la mort doit être vécue dans la sérénité et la joie. Une autre explication est une interdiction du gouvernement indien, qui entend ainsi lutter contre la pratique des Sati: des veuves qui suivant une très ancienne tradition se jettent dans le feu emportant leur mari, sous la pression de la foule ou par désespoir (en dehors de la douleur personnelle, le veuvage est pour les femmes un énorme stigmate social)…
La crémation du corps dure en 2h30 et 3 heures. Au bout d’environ une heure et demi, un membre de la famille brise le crâne du défunt pour laisser s’échapper l’âme. Une fois la crémation terminée, un des membres de la famille va recueillir de l’eau du gange dans un pot d’argile. Puis, dos au bûcher, il y jette le pot sans se retourner et quitte le lieu, toujours sans regarder en arrière. Cela signifie que son lien affectif avec le mort est rompu. Après la crémation, des prêtres jettent les ossements restants dans le fleuve (chez les femmes, les os des hanches ne sont jamais totalement consummés, les os du thorax pour les hommes). Ils passeront aussi plus tard les cendres au tamis, car les morts sont traditionnellement brûlés avec leurs bijoux et il y a donc des choses à récupérer.
Six types de morts ne peuvent pas connaitre la crémation: tout d’abord, les animaux, les enfants de moins de 10 ans et les femmes enceintes, en raison de l’enfant qu’elles portent. Il y a aussi les sadhus, qui sont des hommes ou femmes ayant abandonné leur famille pour vivre la fin de la vie en ascètes, ainsi que ceux morts d’une morsure de cobra (le cobra est le collier de Shiva, sa morsure est sacrée) qui sont considérés comme trop purs pour être brûlés. Les lépreux ne peuvent pas non plus être incinérés car leur corps n’est pas pur et la crémation pourrait répendre leur maladie. Les corps de tous ces morts sont donc jetés au milieu de la rivière, lestés d’une grosse pierre. Il n’est pas rare de voir ensuite leur cadavre remonter et flotter le long du Gange…
Je le constate tous les jours, les frontières de l’intimité sont différentes dans les cultures française et indienne. En Inde, chaque moment de la vie, de la naissance à la mort, est public. En France la maladie et la mort sont aussi peu visibles que possible, leur manifestation est dérangeante voire presque obscène. Le spectacle de ces corps enflammés restera un moment qui m’a pas mal secouée.
2 Comments
waouh c’était varié et dense !!!moi j’ai bien aimé les portes ….et l’allusion au tee shirt de N Y que je porte en ce moment … à la maison seulement!!
Celui-là, interdiction de l’amener quand tu viendras nous rendre visiter à New York!